Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/206

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effroi de la peste. Une déroute éperdue disperse la multitude jusque-là agenouillée ; et c’est là une vaine lâcheté, sans doute, quand deux coulées de lave déjà cernent le troupeau effaré : Car le philosophe, qui s’est trompé sur les hommes, ne se trompe pas sur les faits physiques. Il a escompté, avec exactitude, la complicité de la montagne. La tragédie de la cité est close ; et il reste à Empédocle à chercher son destin personnel.

De tout ce qu’il a amené d’irréparable, est-il sûr de pouvoir répondre ? Obstinément attaché au vrai, il a quitté la religion et l’art, également illusoires. Il n’a pu se satisfaire que de la science, hostile à toute vie. Mais, à quoi bon savoir, si le vivant qui sait ne peut plus vivre ? La sagesse vraie n’est-elle pas cette fuite instinctive du peuple, qui sauve, avec sa vie, la possibilité unique de sa régénération ? Le crime d’Empédocle est d’avoir douté de la vie par orgueil de la savoir faible et corruptible. Toutefois, l’univers ramène sans fin la vie et la mort. Un seul châtiment existe pour celui qui a commis le crime contre la vie, c’est de mourir éternellement. Il ne peut y avoir pour lui qu’une lustration : C’est la palingénésie de la mort innombrable et répétée.

Par un suprême paradoxe, une âme, et de toutes la plus ennemie, le suivra. Corinne, à qui il a ôté son amant, se donnera à Empédocle dans la mort, comme cette tendre Psyché, qui suit le Satyros de Gœthe. En vain la repoussera-t-il. Elle lui fait honte de son avertissement. « Dionysos fuirait-il devant Ariane ? » La volonté de mourir éternellement, qui est la Philosophie, fuira-t-elle devant la Femme, qui est la Nature même ? Mais les âmes d’élite acceptent d’avance le destin, comme l’accepte la nature. Un animal se réfugie auprès d’eux durant cette marche à travers la mer incandescente qui déjà déferle. Pareillement, quand Zarathoustra mourra, les plantes et les bêtes