Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/208

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jusqu’ici, n’a eu la solution de ces énigmes. Je doute que personne ait soupçonné ici des énigmes…[1]. -

Il y reviendra parfois, dans ses carnets, jusqu’à ce jour tragique de 1888 où, vaincu par la vie, mais touchant philosophiquement à la victoire, il ne pourra plus le contenir. Alors, il écrira à Cosima le billet délirant : « Ariadne, ich liebe dich ![2] » La conquête de la plus noble des femmes, voilà le symbole nouveau que s’est forgé son vouloir dominateur, et l’une des fictions dirigeantes principales par lesquelles il fixait sa mobilité sensitive.

L’Empédocle resta une ébauche. Comme le Zarathustra, il eût été trop étroit pour contenir toute la pensée de Nietzsche. Comment expliquer par une affabulation unique non seulement l’essence, mais aussi la décadence de la tragédie ? Il fallait, là encore, reprendre et corriger les idées de Wagner. Oui, certes, Wagner avait dit avec justesse que la tragédie grecque mourut avec la cité athénienne[3] et avec l’épuisement du Volksgeist qui l’avait produite[4]. Mais n’y avait-il pas contradiction chez Wagner à prétendre ressusciter la tragédie, que le progrès de la pensée abstraite avait ruinée ? Sommes-nous libres de prendre à rebours une évolution naturelle ? Comment penserions-nous par mythes, quand l’habitude

  1. Publié d’abord dans le tirage à part des Gedichte und Sprüche, 1898, p. 21, Ecce Homo (W., XV, 100). — C. A. Bernoulli, Franz Overbeck, t II, p. 79.
  2. Mme Cosima Wagner a reçu ce billet en janvier 1889. Pour toute l’interprétation de cet apologue philosophique, nous suivons la solide hypothèse préalable de C.-A. Bernoulli, Franz Overbeck, t. II, p. 79 sq., qui, le premier, a identifié l’Ariane, qui hantera désormais les rêves de Nietzsche, avec Cosima Wagner. Mme Foerster n’a rien opposé jusqu’ici à cette argumentation que des dénégations sans preuves, dans Wagner und Nietzsche zur Zeit ihrer Freundschaft, p. 225. On trouvera des rapprochements nouveaux et probants dans Hans Bélart, Friedrich Nieizsches Leben, pp. 86-90.
  3. R. Wagner, Kunst und Revolution : « Genau mit der Auflösung des athenischen Staats hängt der Verfall der Tragœdie zusammen. » {Schriften, III, p. 12.)
  4. R. Wagner, Das Kunstwerk der Zukunft. (Schriften. III, p. 105.)