Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/207

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supporteront seules la vérité qui met en fuite les disciples. Un humble animal et une héroïne de la vérité s’acheminent avec Empédocle vers le cratère, où il consomme son suicide philosophique.

Après le panégyrique de Wagner, quelle plus glorieuse apothéose concevoir pour Cosima ? La femme, par admiration du bien-aimé, va à la mort, si la mort est la dernière conséquence du vrai. Le drame, philosophiquement ambigu, est d’une clarté humaine totale. On peut douter sur la philosophie à choisir. Nietzsche hésitera longtemps ; et de 1870-76 se prononcera pour la philosophie de l’illusion ; de 1876 à 1881 pour la philosophie du vrai. Une chose est sûre, c’est le déchirement du philosophe placé dans cette tragique alternative ; et c’est cette douleur qui eût fait d’Empédocle sans doute une plainte lyrique d’une incomparable éloquence. Elle restera inexprimée toutefois, pour mûrir et s’adoucir dans l’apaisement du Zarathustra.

Or, cette philosophie qui hésite entre l’illusion et le vrai, peut-elle encore symboliser le wagnérisme ? Brunehilde, sans doute, dans le dénouement du Crépuscule des Dieux, où elle quitte le pays de la chimère et de la vie, prétend entrer dans la région du savoir. L’alternative posée par le drame wagnérien était celle d’une philosophie nouvelle. Wagner avait-il qualité pour décider ? Alors sous le masque tragique d’Empédocle il faut reconnaître les traits de Wagner. Mais, dans l’hypothèse contraire, si le suffrage et le cœur d’Ariane doivent aller à celui qui découvre les sources d’un nouveau pessimisme destiné à purifier les âmes, le prix doit appartenir un jour à un autre qui ne se nomme pas encore. Nietzsche garde en lui cet orgueilleux secret, enfermé dans son apologue.

Qui sait, à part moi, écrira-t-il en 1888, qui est Ariane ? Personne,