Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rales sont en petit nombre[1], et une application correcte du schopenhauérisme à l’étude concrète d’un grand musicien fait presque tous les frais de l’opuscule.

Pour Wagner, le regard de la conscience peut s’ouvrir sur deux mondes : la réalité extérieure et les faits de l’âme. Il suffit cependant que le regard parcoure la surface des choses, pour que s’évanouisse l’apparence de leur individualité. Il ne les aperçoit que comme des idées. Il discerne ce qui leur est commun, c’est-à-dire ce par quoi elles nous ressemblent. Mais cette identité des choses avec nous, évidente, parce que, sans elle, rien n’entrerait jamais dans la conscience, nous n’en savons rien ; et c’est pourquoi le monde se présente à nous comme une surface où se meuvent des formes animées pareilles à nous et différentes de nous ; et l’art plastique, qui en est la conscience la plus claire, en fixe les lignes dans l’espace. Combien plus profondément la réalité se découvre quand le regard conscient se tourne vers le dedans !

Il le peut, quand tout vouloir s’endort. Des vagues puissantes et obscures se meuvent sous la houle éclairée des émotions de surface. Mieux encore, une même vie se déroule en nous et hors de nous. Le sentiment interne nous montre dans les choses du dehors un vouloir de même racine que nous. C’est aussi une idée qui nous apparaît ainsi, c’est-à-dire une existence à la fois concrète et générale, où s’effacent les existences séparées ; mais c’est l’idée de l’univers. Et il y a un art qui exprime cette idée, c’est la musique.

Nous en avons une preuve toute populaire et connue

  1. Un historien également familier avec Wagner et avec Nietzsche, Henri Lichtenberger, Richard Wagner, poète et penseur, 2e éd., 1899, p. 366 sq., a pu analyser le Beethoven de Wagner, sans y remarquer des réminiscences de Nietzsche.