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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/213

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Mais cette philosophie, quand Wagner aurait été capable de la faire connaître, il n’en avait pas le droit. Il s’agissait là d’un secret concerté entre eux autant "que d’une propriété littéraire intangible. Pourtant Nietzsche était sans crainte. On les comptait, les initiés qui avaient le mot du mystère. Et, condescendant, il signait : « Votre reconnaissant et fidèle Nietzsche. »

Quand on relit de près le Beethoven de Wagner, on s’étonne que Nietzsche en ait pris tant d’ombrage. Son irritabilité de toujours cachait sous des reproches déférents une ingratitude réelle. Il prenait possession du wagnérisme comme d’un bien propre. Il écrit à Rohde, le 15 décembre 1870 :

Un livre de Wagner sur Beethoven, qui vient de paraître, pourra t’orienter en beaucoup de choses sur ce que j’exige à présent de l’avenir. Lis-le ; il est une révélation de l’esprit, dans lequel nous — oui, nous tous — vivrons cet avenir[1].

Si assuré que fût Wagner de sa mission d’art, il n’avait pas cet impatient mysticisme. Et comment eût-il pensé que sa conception personnelle de la musique, un peu renouvelée certes depuis 1848, ne parût exprimer que ce que son plus jeune disciple « exigeait de l’avenir ». Wagner n’en avait-il pas aussi appelé à cet avenir, dont sa musique avait porté le nom, pour la risée de beaucoup ? Et ne pouvait-il espérer le marquer de son empreinte ? Comment se serait traduite au dehors la collaboration intime commencée à Tribschen, si ce n’est par des manifestes concordants ? À supposer qu’il se trouvât dans le Beethoven de Wagner des réminiscences de ses conversations avec Nietzsche, n’étaient-ce pas autant de marques d’amitié ? En réalité, ces réminiscences litté-

  1. Corr., II. 213.