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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/39

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faudrait, pour des époques différentes, retracer la vie du presbytère protestant dans les campagnes et dans les petites villes d’Allemagne. Goldsmith, au xviiie siècle, avait appelé sur la sentimentale simplicité du presbytère anglais les sympathies européennes. La Louise de Voss grandit jusqu’à la poésie l’idylle rustique du pasteur allemand, et Gœthe dit, dans Wahrheit und Dichtung, le charme tout homérique de cette royauté rurale des esprits que le luthéranisme a conférée à ses plus humbles desservants. Ce qu’il entre dans les couches populaires de culture supérieure par la diffusion de la parole biblique interprétée par des hommes exercés, ce que représentent aussi de force morale conservatrice et philistine cet enseignement et cette simple et confortable vie, serait l’objet de la plus nécessaire et de la plus difficile enquête. Il est sûr avant tout que les familles pastorales ont été pour l’Allemagne une des plus fécondes pépinières d’hommes de talent. La famille de Nietzsche a été une famille de pasteurs, comme celle de Bach a été une famille de musiciens[1]. Nul doute qu’il ne faille s’expliquer ainsi la sérieuse préoccupation qu’il a toujours eue du christianisme et de son action dans le monde.

Dans la lignée authentiquement attestée, on ne peut remonter au delà de la troisième génération. Déjà le bisaïeul de Nietzsche, ce grand et beau cavalier, inspecteur des contributions indirectes, qui à quatre-vingt-dix ans encore parcourait à cheval les routes de son ressort d’inspection entre Bibra et Freyburg, s’efface dans le passé[2]. À partir de lui, les physionomies des descendants se pré-



  1. Tous les presbytères de ses ancêtres ecclésiastiques, si on les juxtaposait, formeraient à eux seuls un joli village », a dit spirituellement Carl Albrecht Bernoulli, Franz Overbeck und Friedrich Nietzsche, 1908, t I, p. 61.
  2. E. Foerster, Der Junge Nietzsche, 8.