Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/40

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cisent. J’ai pu parcourir ce « Salon des Souvenirs » si captivant au Nietzsche-Archiv, où se conservent les portraits des aïeux. Ils vous regardent avec des physionomies loyales et sont tous d’une carrure très rustique. À coup sûr la souche était résistante. Ils étaient cultivés aussi. Déjà l’aïeul Friedrich-August-Ludwig— Nietzsche (1756 — 1826) fut ecclésiastique et écrivain. Il avait étudié à Leipzig : Morus, Kœrner, le philosophe Platner, les deux Ernesti avaient été ses maîtres. Zollikofer, qu’il connut personnellement, fut le modèle qu’il tâcha de suivre dans l’éloquence de la chaire ; et il lui emprunta sans doute, avec son orthodoxie éclairée, une conception du sermon digne de l’Aufklärung et moins propre à édifier le cœur qu’à l’instruire par de sages préceptes. Il avait occupé vingt ans (1783-1803) la paroisse de Wollmirstaedt en Thuringe, quand la petite ville saxonne d’Eilenburg l’élut pasteur. Il eut au plus haut degré le sens du prosélytisme, si fréquent chez les Thuringiens. Il avait écrit un livre Die höchst nötige Verbesserung der Dorfschulen (1792), où déjà se révèle le souci critique et le souci d’élever le niveau de la culture, qui dictera à son petit-fils des leçons sur l’avenir de notre éducation. Il est improbable que son Gamaliel, oder über die immerwährende Dauer des Christentums (1796), ait rien de commun avec l’Antéchrist du plus impie de ses descendants. Mais le titre même de ses Beiträge zur Beförderung einer vernünftigen Denkungsart über Religion, Erziehung, Untertanenpflicht und Menschenleben (1804), déploie, sous son titre herdérien, un programme de recherche digne du plus grand moraliste.

Il y a eu de la sorte dans cette famille un dressage moral, qui dura un siècle. Des contemporains louent dans l’aïeul un sens délicat du devoir, une dignité affable, une grande sûreté de cœur, et cette philosophie de la vie, dernier legs que le xviiie siècle chrétien laissera à Friedrich