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pas empêché de dire en 1866 : « Que sera Pforta sans Steinhart ? » Le germanisant Koberstein avait écrit un immense manuel de littérature allemande, qui n’est nullement un répertoire informe de faits : il parlait avec une tendresse intelligente des grands romantiques, de Novalis, de Friedrich Schlegel, de Fichte, qui tous avaient été formés à Pforta. Nietzsche est redevable à cet enseignement de la connaissance approfondie qu’il aura d’eux. Le latiniste Corssen, fantasque, aimable et gai, poursuivait de vastes travaux sur le déchiffrement de l’étrusque. Mais il savait aussi donner à des adolescents la notion de la pureté latine.

Ce fut une impression durable que laissa à Nietzsche le centenaire de la naissance de Schiller célébré avec éclat le 9 novembre 1859. Un peu de son culte des héros est sorti de l’esprit qui organisa ces fêtes. Koberstein fît remarquer combien les grands poètes de l’Allemagne avaient contribué à unifier la nation par la pensée, et Nietzsche acceptait cet enseignement[1]. Schiller est le premier maître de Nietzsche. Les grands immoralistes schillériens, en lutte contre les puissances établies et contre la force aveugle des foules et qui toutefois descendent tragiquement sur l’horizon comme « un coucher de soleil sanglant », voilà ceux qu’il aime d’un enthousiasme juvénile. Dans les Brigands les caractères lui parurent presque surhumains : le mot est de lui, et il est de 1859. Un nom tiré de Lessing et cette dramaturgie schillérienne lui suggèrent d’écrire un fragment intitulé Philotas : l’homme de guerre sévère, qui a gardé l’orgueil d’être un Grec, tient tête à Alexandre gagné par la noblesse et environné par la servilité persanes. Mais il

  1. Corr., V, 7.