Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/70

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domination, qui se cachait sous cette propagande réformatrice assura vite à Nietzsche une réputation de satirique bien établie[1].

Dès 1865, sa doctrine nouvelle est fixée. Ce sera décidément la guerre aux mauvaises habitudes, à tous les « anachronismes », à l’ivrognerie codifiée, à ce « matérialisme de brasserie » et à cette arrogance de jugement qu’il reprochera désormais aux étudiants allemands comme une persistance fâcheuse de l’esprit « collégien » le moins intellectuellement exigeant[2]. La « liberté académique », orgueil des Universités allemandes, et dont il fit plus tard un tableau ironique et désolant, c’est à Bonn qu’il en expérimenta la misère intellectuelle. Il y discernait avec raison un scepticisme précoce, très propre à faire, en lin de compte, de loyaux « sujets » et des fonctionnaires modèles. Et que la majorité des jeunes bourgeois menât cette vie médiocre de bruit, de dettes et de fanfaronnades, c’était le moindre mal. Sa souffrance, qu’il a dépeinte plus tard, était celle de l’adolescent d’élite, jeté, avec un besoin de culture délicate, dans cette foule aisément satisfaite. Il avait cru, en se confiant à ces jeunes gens, travailler avec eux à une grande cause. « On ne songe pas sans effroi aux effets que doit produire l’étouffement d’aussi nobles besoins[3]. » Et à cette déception s’en joignit une seconde :

Je ne veux pas être injuste, après coup, envers ces braves gens, écrit-il en 1866. Mais ma nature ne trouvait auprès d’eux nulle satisfaction. J’étais encore trop timidement renfermé en moi-même et je n’avais pas la force déjouer un rôle dans cette agitation. Toutes choses s’imposaient à moi comme une contrainte, et je ne sus pas me rendre maître de cette ambiance[4].

  1. Corr., V, 79.
  2. E. Foesrster, Biogr., I, p. 226. — Corr., I, 12, 18.
  3. [Ueber die Zukunft unserer Bildungsanstalten. (W., IX, 412.)
  4. E. Foesrster, [Der junge Nietzsche, p. 168.