N’avoir pas su se rendre maître, voilà le tourment entre tous insupportable, quand on a cet orgueilleux sentiment de la vie et de soi. Plus tard, quand la Franconia lui décerna ses insignes d’honneur, il les renvoya avec une protestation[1]. Symbolique rupture, la première de toutes celles qui marquèrent la vie de Nietzsche et qui sont autant de contre-offensives par lesquelles se défend, comme un sentiment personnel blessé, son idéal d’une vie morale supérieure.
Faut-il conclure avec lui que cette année de Bonn ait été une année perdue ? Une hypocondrie passagère a seule pu le lui faire croire. On ne peut appeler perdue une année où s’approfondit à ce degré sa culture théâtrale et musicale. Sa notion de l’héroïsme dans la femme et sa notion de la tragédie[2] doivent une part de leur précoce grandeur au privilège qu’il a eu d’entendre Marie Niemann-Seebach dans la Krimhilde de Hebbel. Nous ne savons ce que valent ses compositions mélodiques de ce temps, ces lieder « dans le style le plus haut de la musique de l’avenir, avec des cris naturels »[3]. Ce que nous en connaissons n’explique pas qu’on ait plaisanté sa prédilection pour Berlioz. Tout compte fait cependant, il resta fidèle aux sonorités de Bach et de Schumann[4], et surtout à ce dernier. Jamais il ne le travailla davantage ni ne l’entendit mieux interpréter. « Sieh dich tüchtig im Leben um, wie auch in anderen Künsten und Wissenschaften. » Ce précepte donné par Schumann au musicien fut suivi par Nietzsche, à cette époque d’attente un peu incertaine. Les problèmes de la pensée et de la vie lui
- ↑ Corr., I, 22.
- ↑ Ibid., I, 99.
- ↑ Ibid., V, 12o.
- ↑ Dans des lieder sur Das Ungewitter, Gern und Gerner, Das Kind an die erloschene Kerze, de Chamisso ; sur des textes de Petœfi, tels que le Staendchen, Es winkt und neigt [Corr., V, 83, 89). Nachspiel, Unendlich. V. E. Foerster, Der junge Nietzsche, p. 149, et la partition d’un lied, Biogr., I, p. 224.