Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/123

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à la mémoire de Nietzsche, quand il décrivait ce pathétique nouveau de Démocrite, qui vient de ce qu’il croit posséder, dans le savoir, le secret d’un immense affranchissement [1]. Il n’y a pas de raison dans un monde où tout est rencontre fortuite d’atomes ; mais la déraison elle-même y est mathématique ; et dès lors nous avons sur le monde une prise puissante par l’intelligence. Ce n’est pas, selon Nietzsche, que rien dans le réel corresponde aux concepts de l’esprit, si ce n’est le besoin humain de simplifier, de classer, d’apprécier le dissemblable. Nous ne voyons pas le monde tel qu’il est ; mais nous nous y orientons, et cela suffit. La seule façon de tirer parti de l’univers est d’en donner une interprétation intelligente. Les Grecs ont découvert les premiers l’intime satisfaction liée à cette besogne de l’esprit. Il ne faut pas qu’elle manque désormais à la culture des peuples supérieurs.


II. — Les anthropomorphismes moraux
de la philosophie primitive
.


L’exposé de Nietzsche, en 1873, était destiné à émanciper Wagner du catholicisme de Cosima ; et il met avec insistance sous les yeux de Cosima Wagner l’élargissement que la philosophie grecque doit à un intellectualisme épuré par degrés [2]. Ce n’est pas à dire que cette philosophie néglige la vie morale. Elle y puise des expériences de plus en plus intellectualisées aussi, qu’elle cristallise en métaphores. Et, au terme, les anthropomorphismes moraux où cette expérience se dépose, ne sont pas destinés à détruire l’art, mais à le justifier.

Voilà pourquoi Nietzsche trace des trois grands philo-

  1. V. La Jeunesse de Nietzsche, p. 308 sq.
  2. Philosophie im trag. Zeitalter, Fortsetzung, § 6. (W., X, 97 sq. 237.)