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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/124

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sophes tragiques, Anaximandre, Héraclite, Empédocle, un portrait si saisissant. Ils sont tragiques, parce que les premiers ils posent le problème de la valeur de la vie.

Anaximandre crée la première philosophie pessimiste [1]. Il a vu que « tous les êtres doivent retourner au lieu de leur origine de toute nécessité ». Mais comment peuvent finir des êtres qui ont un droit à l’existence ? Et comment expliquer l’enfantement continu qui produit les êtres ? Cet anéantissement nécessaire de toutes choses, Anaximandre, le premier, le ressent comme un malheur éternel. Et à ce désastre, qui toujours recommence, il cherche le premier une explication morale : il ne conçoit pas que les êtres puissent être frappés, sinon pour un crime commis avant leur vie, et qu’ils expient par la mort. C’est pourquoi déjà les mers diminuent et déjà l’incendie a saisi l’univers qui s’engloutira en fumée. Or, toujours l’indéfini d’oîi sont sortiesles choses, donnera naissance à du fini ; l’éternel, à du passager ; le juste, à de l’injuste. Comment cela se peut-il ? et pourquoi le « devenu » n’a-t-il pas péri une fois pour toutes ? Aucun savoir limité ne répondra jamais à ces questions qui touchent à la destinée totale des mondes. Il appartient au philosophe de monter jusqu’à ces cimes noyées d’ombre, et pourtant de ne pas perdre de vue le réel [2].

Héraclite est pour Nietzsche avant tout ce philosophe préoccupé du devenir ; celui dont la pensée ne veut connaître du monde que les phénomènes qui ne sont pas, mais qui passent. Par là, il est, en effet, l’aïeul de tout le phénoménisme moderne. C’est beaucoup dire, et c’est dire encore trop peu. Héraclite a eu les yeux fixés sur le devenir, mais il en a vu la régularité. Il a discerné le devenir,

  1. Die Vorplatonischen Philosophen, § 7. (Philologica, III, 153.)
  2. Die Philosophie im trag. Zeilalter, § 4. (W., X, 25-30.)