Aller au contenu

Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Mensonge, dira-t-on ? Mais mensonge qui nous rend heureux ! La science nous apprend-elle donc la vérité ? Elle nous apprend ce qui est nécessaire pour ne pas périr. La morale nous commande-t-elle le vrai ? Elle nous commande ce qu’il faut pour ne pas nuire, afin que d’autres par représailles ne nous nuisent pas. La science et la morale s’attachent à des fantômes et ne le savent point. L’art se repaît de mensonges, mais il en avoue la chimère. À vrai dire, c’est l’art qui a le mérite de la sincérité. Il n’atteint pas plus que la science et la morale au réel. Mais, s’il se contente de l’apparence, il ne nous trompe pas, car il nous donne l’apparence pour telle. Par là il nous permet la contemplation pure qui ne veut pas s’assouvir de réalités. L’art nous habitue à « jeter sur les choses un regard sans désir ». Ainsi les regardait déjà le saint. C’est que le saint était un artiste. L’école la meilleure pour arriver à la sainteté et à la philosophie, c’est donc : la vie artiste.

Le langage des apparences, qui est celui de l’art, ne diffère pas du langage que nous parle le monde réel. Mais les signes du langage artiste sont autrement assemblés. Ces signes traduisent un fait mental complexe où entrent des émotions joyeuses ou tristes et les images émanées d’elles. C’est cet agrégat d’images et d’émolions que nous appelons sentiment. De lui-même le sentiment trouve son symbole dans la gesticulation. Or, que veut-on que traduise du sentiment le geste, si ce ne sont les images qui l’accompagnent, et que la vision, l’innervation sympathique transmise par les yeux, fait passer aussitôt dans l’âme du spectateur [1]. Les arts plastiques nous montrent des gestes. Ils reproduisent

  1. Die dionysische Weltanschauung, § 7 (W., IX, 93) ; Musik und Tragödie, § 1. (W., IX, 212.)