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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/235

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Elle voit le crépuscule descendre sur notre civilisation entière. Comment la sauver, si ce n’est par une pitié sans mesure, par un immense élan de l’âme qui libérerait à nouveau, en nous et dans l’art, la vie régénérée ? Une infinie pureté peut seule accomplir cette œuvre d’affranchissement. Mais il la faut éclairée de tout le savoir présent. Que son action soit utile, n’en doutons pas. Il faut qu’elle agisse, puisque notre salut est à ce prix ; et la première condition de régénération est de croire le salut possible. Nous devons modifier notre conception de la vie, jusqu’à ce que nous puissions approuver la vie. Nous devons sacrifier notre vie à la possibilité de cette vie supérieure que nous préparons pour ceux qui viendront après nous ; et il n’est pas de destinée plus belle que de mûrir pour la mort en luttant pour cette justice et pour cette amitié future entre les vivants. L’art est une courte halte avant la bataille. Ses images flottent comme des rêves de victoire sur les bataillons endormis, le soir, avant l’attaque[1]. Mais les étapes de cette marche en avant de la vie, la préparation armée qu’elle exige, ce n’est plus à la métaphysique pure à nous les enseigner. Il y faut une métaphysique pratique, qui est théorie de la civilisation.

  1. Richard Wagner in Bayreuth, § 4. (W., I, 521.) « Die Kunst ist nicht für den Kampf selber da, sondern für die Ruhepausen vorher und inmitten desselben, für jene Minuten, da man zurückblickend und vorahnend das Symbolische versteht. Der Tag und der Kampf bricht gleich an, die heiligen Schatten verschweben… »