Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/253

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Après cette guerre de 1870 qui fut pour beaucoup « un voyage dans l’hémisphère le plus élégant du globe », c’est une recherche universelle de la même élégance, un effort des industries d’art pour copier les industries françaises, pour embellir la maison allemande d’un décor parisien. Une importation continue de pièces de théâtre et de romans corrompt et abâtardit la littérature allemande, sans lui donner la grâce, l’attrait « intéressant », les qualités de forme et de brillante surface que gardent les Français, même dans leur décadence. Héritiers d’une culture latine qui, même dans sa force, aimait le décor, le pathétique, les gestes nobles, la forme cérémonieuse, comment les Français n’auraient-ils pas gardé ce sens de la forme, encore que le contenu y fasse aujourd’hui défaut [1] ? Mais si les Latins procèdent par une imitation de formes étrangères qui à chaque instant les métamorphose, à moins qu’elle ne les vide ; s’ils sont le peuple réceptif, habile, en qui toute suggestion produit un résultat hâtif et trompeur ; si ce don de la suggestibilité artiste les sert dans la simulation des aimables apparences, le peuple allemand doit à son génie de créer du dedans, plus lentement, des formes d’art et de civilisation capables de traduire sa forte vitalité.

Pour saisir bien les tares de l’inculture présente, disons-nous qu’elle est à la culture véritable ce qu’est l’intelligence élémentaire à l’activité morale et à la création d’art. La psychologie darwinienne a permis d’en dévoiler les origines. L’inculture présente vient d’une sorte de débilité pareille à celle qui, dans le monde tragique des premiers âges, a obligé les vivants à se créer une intelligence. En ces temps féroces, l’intelligence servait à nous cacher, pour n’être pas la proie de l’ennemi embusqué ; à dire le faux pour échapper aux despotes ; à prendre, par mimé-

  1. Einzelne Gedanken, posth. (W., X, 484-486.)