Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/255

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sur la terre aussi les mêmes faits, jusque daus le détail le plus menu, sont tenus de recommencer » [1]. Des lectures bouddhiques lui rendent l’hypothèse plausible. Mais, bien qu’il écrive : « Il nous faut imiter Bouddha » , il écarte provisoirement l’idée qui fut une des doctrines cardinales du bouddhisme. Le temps devait venir, huit années à peine après que cette idée eut traversé son esprit, où il allait reprendre du système de Bouddha tout ce qui suffisait à détruire pour jamais son pessimisme [2].

Pour le présent, il se persuade que l’individualité la plus haute a ses racines dans l’éternel vouloir, dans une imagination unique et commune à tous les êtres émanés de lui, dans une mémoire éternelle et commune à toutes les pensées. Mais, au fond de toutes les formes que revêtira ce sentiment de l’éternel, on retrouvera ce respect apitoyé de l’individualité précieuse, destinée à s’anéantir, et qu’il nous faut d’autant mieux aimer et mettre en pleine lumière en nous, qu’elle ne doit vivre qu’une seconde dans cette clarté d’un jour.

Cette pensée emplit Nietzsche de la colère prophétique qui prétend chasser du temple intérieur les marchands qui l’obstruent de basses installations de commerce. Il s’emporte à des invectives sans nouveauté contre les hommes grégaires. Il les montre penchés sur le sillon et sur le métier, anxieux de leur vie matérielle, inquiets des dires du voisin, attachés fanatiquement à des opinions qui, à quelques lieues de l’endroit où elles passent pour sacrées, sont remplacées par des opinions contraires. Il les plaint « d’éluder ainsi leur génie » et de refuser leur attention à la voix qui leur crie : « Soyez vous-mêmes ; car vous n’êtes pas ce que vous faites et dites et désirez

  1. Vom Nutzen und Nachteil der Historie, § 1. (W., I, 288.)
  2. Nous y reviendrons dans La Maturité de Nietzsche.