Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/26

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NOTE BIBLIOGRAPHIQUE


La difficulté de délimiter les périodes de la philosophie de Nietzsche a depuis l’origine divisé les historiens. Le premier livre important sur Nietzsche, le profond et charmant livre de Mme Lou Andreas-Salomé, Friedrich Nietzsche in seinen Werken, 1894, n’a de sympathie et de vraie intelligence que pour la période moyenne et rationaliste du philosophe ; et sa pensée lui échappe à partir du Zarathustra. — Henri Lichtenberger, dans le livre pénétrant sur la Philosophie de Nietzsche, 1898, qui a inauguré en France l’étude scientifique de Nietzsche, a eu le sentiment qu’il y a deux périodes. Il les intitule : 1o l’Émancipation intellectuelle de Nietzsche (1869-1879) ; 2o Nietzsche philosophe (1879-88). C’est faire commencer tard la pensée personnelle de Nietzsche. La philosophie de Nietzsche est originale tout de suite. Des emprunts, des préjugés se mêlent à cette originalité. Mais dès 1874, il est tout lui-même. — Raoul Richter dans Friedrich Nietzsche, sein Leben und sein Werk, 1903, a le premier distingué deux périodes : 1o L’œuvre en devenir, de 1869-81 ; 2o L’œuvre achevée (1882-88). — Des raisons psychologiques très fortes et fines ont décidé Carl-Albrecht Bernoulli, Franz Overbeck und Friedrich Nietzsche, 2 vol., 1908, à admettre quatre périodes. Il pose « avant la parenthèse » l’Ursprung der Tragödie. À partir de là il distingue : 1o Nietzsche éducateur (1873-75) ; 2o Nietzsche critique (1876-81) ; 3o Nietzsche lyrique (1881-85) ; 4o Nietzsche fanatique (1885-88). C’est dire que l’inspiration dionysiaque traverse l’œuvre entier et le baigne. Mais quand donc Nietzsche n’aurait-il pas été un éducateur ? Quand n’a-t-il pas été un critique ; et si, comme Bernoulli on entend le fanatisme au sens supérieur où il qualifie les grands sectaires, quel est le temps où Nietzsche aurait été moins fanatique que Calvin ? Croit-on qu’il fut moins lyrique en 1870 qu’en 1881 ? Pourtant le sentiment de Bernoulli est juste, si sa terminologie est contestable.

Le beau livre américain de William M. Salter, Nietzsche the Thinker, 1917, s’en tient à la division tripartite courante. Je le consulterai souvent dans le détail. J’ai dit déjà la place privilégiée qu’il faut faire à la série d’essais éclatants qui forment le livre d’Ernst Bertram, Nietzsche. Versuch einer Mythologie, 1919. Il donne des aperçus en profondeur, sans s’astreindre à aucune division par périodes.