Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/29

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Nietzsche, esquissant sa biographie intellectuelle en 1887, a dit de son premier livre :

Ce début est remarquable au delà de toute expression[1].


Il est remarquable pour d’autres raisons encore que les raisons alléguées dans l’Ecce Homo. Avoir posé en termes nouveaux cet étrange problème de psychologie religieuse, celui du dionysisme, cela suffirait peut-être à rendre immortel le livre de la Naissance de la Tragédie. Essayer d’expliquer l’art grec dans son entier en partant de la religion grecque, et par surcroît la science morale grecque, le socratisme, enfin toute la science grecque, comme un contre-courant nécessaire de la pensée religieuse : c’était une œuvre qui à elle seule exigeait un historien de génie. Pourtant, à la distance où nous sommes du livre, ce n’est pas là ce qui en fait la grandeur ; et Nietzsche, essayant de définir son dessein, n’en a pas trouvé la définitive formule. Dans une lettre à Erwin Rohde, datée du 4 août 1871, il dit :


Tu auras reconnu partout les traces de l’étude de Schopenhauer, même dans le style. Mais une singulière métaphysique de l’art, qui fait la substance du livre, est assez ma propriété : C’est une propriété foncière, et non pas seulement mobilière, courante et monnayée[2].

  1. Ecce Homo, chap. Die Geburt der Tragödie, § 2. (W., XV, 63)
  2. Corr., II, 258.