Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/309

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rentes, qui voisinent peut-être dans quelques esprits éminents, mais qui ne coïncident jamais. Si la « culture classique » est le fait d’esprits très mûrs, initiés à la plus rare révélation, il est tout à fait impossible de l’exiger d’une jeunesse imberbe et dressée par des maîtres qui eux-mêmes n’ont pas une notion exacte de l’antiquité grecque. C’est là le mal le plus grave. Aussi ne faut-il pas s’étonner que l’élève moyen des lycées préfère les drames de Gustav Freytag et les derniers romans de Spielhagen à la tragédie grecque et à Homère. Mais, à défaut d’une initiation entière, ne pourrait-on inspirer à la jeunesse cette nostalgie au moins, qui faisait, à Goethe et à Schiller, chercher « les rivages de Grèce avec les yeux de l’âme » ; et sans attendre d’elle la science, ne peut-on préparer un état d’esprit scientifique ?

Avant tout, le lycée se doit de cultiver chez ses élèves le respect et le sens de la langue maternelle. Non pas qu’il faille exiger des jeunes gens l’art d’écrire, privilège d’un petit nombre, et qu’on ne vulgarise pas sans le faire déchoir. Nietzsche haïssait la dissertation précoce, école de polygraphie vague. On sent la douleur d’une confession sur sa propre jeunesse dans la pitié qui le saisit, à considérer des esprits qu’on force, en serre chaude, à s’ouvrir et à fleurir quand leur personnalité est à peine encore en bouton [1]. Mais on peut donner aux plus jeunes esprits le sentiment exact de la propriété des termes. Il faut se rappeler combien toute connaissance est, pour Nietzsche, appuyée sur le langage. Si tout ce que nous saisissons du réel est capturé dans un simple réseau de métaphores et de métonymies, tâchons du moins que les mailles en soient serrées. Ce que Nietzsche a le plus estimé dans le gymnase humaniste, c’est la discipline grammati-

  1. Ibid., II. (W., IX, 336, 337, 339.)