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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/343

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tique, par Wagner ; sociale, par cette intelligence intuitive que tous ses maîtres, de Ritschl à Jacob Burckhardt et à Rütimeyer, lui ont procurée de la civilisation supérieure. Il incorpore à sa pensée cette révélation triple ; et cette pensée se montre productive avant même que d’être critique. Nietzsche veut nous faire bénéficier sans retard de son initiation inspirée. Il nous tyrannise avec éloquence. Pourquoi donc sa prophétie s’arrête-t-elle court ? Quand il faut passer à l’action et tracer le plan des Instituts de la culture nouvelle de l’esprit, pourquoi Nietzsche s’en tient-il aux affirmations de principe ? Car le plus haut de ces Instituts, Bayreuth, appartient déjà au passé, avant que le rideau se soit levé sur la première représentation de la Tétralogie.

C’est que la pensée critique mûrissait en Nietzsche avec rapidité. Le changement de nos admirations nous ramène toujours à nous seuls. En essayant de voir clair en lui-même, Nietzsche y aperçoit bien des obscurités que le wagnérisme n’a pas dissipées. Alors, il hésite. Avant de pouvoir définir la tâche et édifier l’Institut des éducateurs, ne doit-il pas avoir avancé sa propre éducation ? À mesure que sa conscience se clarifie, Nietzsche y voit se dérouler des régions morales inconnues. À mesure qu’il s’instruit auprès des naturalistes et des historiens, il découvre qu’il manque à Schopenhauer, comme à Wagner, une suffisante connaissance de la vie des hommes et de toute vie. Ils affirmaient par des raisons impérieuses de tempérament. Pour explorer ces terres inconnues, il faut à Nietzsche d’autres guides ; et, pour découvrir le secret de sa personnalité, une méthode plus impersonnelle. Il l’apprendra des moralistes français.