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les dieux à forme humaine. Les vieux renseignements que Nietzsche puisait dans Peschel, dans Johann Overbeck, dans Mannhardt ne suffisaient pas à le mettre sur la trace. Mais c’est sa méthode élargie qui a permis d’entrevoir, de saisir, à travers les rites immobiles, la vie divine qui s’en est dégagée. La sociologie religieuse contemporaine seule a pu entrevoir ce qui s’est passé dans la pénombre où la pensée humaine ne concevait encore ni une âme, ni une personne. En tous cas, Johann Overbeck, tant consulté par Nietzsche, ne se trompait pas quand il signalait l’éveil d’une préoccupation des causes, et tout d’abord d’une cause personnelle à l’origine de tous les actes[1].

Et de quels actes s’agit-il ? D’actes essentiels, où frémit tout le désir collectif d’une société primitive : assurer la fertilité de la terre ou la fécondité de la tribu. On connaît des rites qui l’assurent, des formules puissantes, des vertus qui résident dans le sang et dans la chair des bêtes rituelles. Enfin, il y a de secrètes participations entre les bêtes sacrées et les hommes. Se couvrir d’un boucrâne, d’une peau du bœuf ou de bouc sacré, c’est avoir déjà en soi la force musculaire ou magique de ces animaux. Le premier dieu à forme humaine est un homme-dieu, coiffé d’un masque de bête. Prêtre ou roi, il est investi de la vertu inhérente à l’animal sacré. Il sait appeler la pluie, le tonnerre, la lumière et le soleil ; il active la croissance printanière. Il détourne la mort. Il est le premier θεός ou θεσός, celui qui agit magiquement. Sans doute, ce prêtre humain, ce medicine-man, ce roi des rites se trompe souvent. Ses incantations, ses gestes ne réussissent pas toujours.

  1. V. pour tout ceci Gilbert Murray, Four stages of greek Religion, New-York, 1912.