Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/65

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taire germe de sa cendre. La sainteté est le nouvel et grand idéal découvert par Sophocle ; et son Œdipe à Colone est le premier hymne qui la glorifie. Mais un sombre enseignement dionysiaque transparait à travers cette lumineuse révélation. Œdipe pénètre au delà de ce que la condition de l’homme permet de voir. Or, on ne force la nature à livrer son secret qu’en résistant à la nature. Le parricide et l’inceste d’Œdipe symbolisent cette sagesse achetée au prix du renversement des choses augustes et de l’ordre naturel. Après quoi, sans doute, il ne reste qu’à subir le châtiment résetvé par la nature à ceux qui ont enfreint ses lois. « La sagesse est un crime contre l’ordre naturel[1]. » Voilà le sens de ce mythe interprété par Sophocle. La tragédie sophocléenne est un enseignement de l’illusion.

Comment se fait-il qu’un art aussi fidèle, dans son esprit, à la philosophie tragique et aux pures conditions de la beauté, ait pu dégénérer ? Nietzsche ne serait pas étonné que ces mythes qui surnageaient dans l’imagination hellénique, épanouis en admirables corolles tragiques, « se fussent, comme a dit d’Annunzio, refermés quand vint le soir grec, et plongeant sous la surface, n’eussent laissé derrière eux sur les eaux mortes flotter que le parfum de leur mélancolie[2]. » Mais ce qui l’indigne, c’est qu’une main sacrilège soit venue arracher de force les corolles vivantes, dont les pétales fanés devinrent le jouet des satiriques. Quel est donc le crime de cet Euripide à qui Nietzsche s’en prend dans deux apostrophes indignées ?

Ce n’est pas à Euripide qu’il en a, mais à l’esprit euripidéen ; de même, ce n’est pas à Socrate qu’il repro-

  1. Geburt der Tragödie, § 9. (W., I, 68.)
  2. G. d’Annunzio, Les Vierges aux rochers. Trad. Hérelle.