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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/81

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lointaine et irréalisable la pensée que l’œuvre exprime. Mais déjà aussi, dans cette mélodie où elle vogue, la sensibilité touche incessamment aux dernières certitudes ; et elle est baignée de musique comme d’une mer, qui serait le réceptacle de toutes les formes de vie. Le miracle accompli dans l’âme du spectateur par la vertu de la musique et du mythe, a ressuscité la tragédie grecque[1].

À peine Nietzsche propose-t-il une dernière modification dans la structure de l’œuvre nouvelle. Dans sa fureur de dompter l’instinct intellectuel, il veut éliminer du drame toute la partie verbale, dernier résidu de tragédie française et de grand opéra. L’action du drame, ou plutôt la passion tragique où succombe le héros, doit être intelligible par les seules attitudes sculpturales qui la miment. Chanter des paroles dialoguées, quel contresens, souligné cent fois par les plaisanteries populaires ! La voix humaine seule est requise. Non certes la voix de l’individu ; et le chanteur qui se prélasse sur la scène, la face dislendue par le chant, est un spectacle répugnant. Seul le chœur doit chanter, et il convient de le réintégrer dans l’orchestre invisible, auquel il ajouterait sa masse vocale, avec tout ce qu’elle dégage d’émotion humaine.

Après tout, n’est-ce pas là ce qu’avait prêché Schiller ? « Le chœur aide à produire la poésie », disait la préface de la Fiancée de Messine. L’émotion dionysiaque, qui, à son moment culminant, éclate dans le chant, fait par elle-même surgir, comme chez les Grecs, la vision extatique. On peut tirer du Tristan de Wagner, si parcimonieux de paroles, le schéma d’un mimo-drame encore plus pur, tout voisin de la symphonie à programme de

  1. Geburt, § 16, 23. (W., I, 116, 160.) — Musik und Tragödie, posth. (W., I, 213, 227, 240.)