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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/85

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d’hui à ne plus admettre que la tragédie attique sorte du dithyrambe rustique ; et de toutes les thèses de Nietzsche, c’est là, sans doute, la plus vieillie. Mais le dithyrambe grave, que Wilamowitz alors prétendait ne pas connaître, il a contribué plus que personne depuis, à l’exhumer des documents informes qui en attestent l’existence[1]. Sur ce point, ses travaux ultérieurs marquent une concession notable à Nietzsche ; et on serait tenté de lui reprocher seulement de ne l’avoir que trop suivi.

Il reprend incontestablement l’avantage, quand il incrimine les appréciations de Nietzsche sur Euripide. D’Eschyle à Euripide, comme d’Aristophane à Ménandre, il y a toute la distance qui sépare les deux grands styles grecs : le style de Phidias et de Polygnote et le style de Zeuxis, d’Apelle, de Praxitèle et de Lysippe. Ceux-ci, derniers venus dans une génération qu’ils côtoient et prolongent, construisent, avec d’autres ressources, une autre beauté, admirable à sa façon immortellement[2]. Les menues incorrections de chronologie que Wilamowitz objecte à Nietzsche ne pèsent rien auprès de ce reproche fondé de partialité incompréhensive.

Il faudra toujours regretter que Nietzsche ait cru à la légende des rapports d’Euripide et de Socrate. Platon et Xénophon auraient-ils oublié d’en faire mention, s’ils avaient existé ? Peut-être faut-il attacher moins d’importance que ne croit Wilamowitz à la différence d’âge qui

  1. Rappelons que Jules Girard, dans son livre sur Le sentiment religieux en Grèce, 1869, pp. 370-391, en avait souligné les rapports probables avec le thrène.
  2. V. dans Élie Faure, L’art antique, 1909, p. 158, des formules analogues : « Praxitèle est l’Euripide de la sculpture. Sous ses doigts le plan s’amollit, hésite, laisse fuir l’esprit que Phidias enfermait en lui. L’expression de la forme, distraite et comme un peu lassée, n’est plus le jeu des forces intérieures, mais celui des lueurs et des ombres ondulant sur son écorce. »