Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/84

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protester. La méthode prescrit de chercher à expliquer les faits par les conditions où ils sont nés. La beauté grecque a pu naître indépendamment des principes par lesquels Wagner a défini pour lui-même, aux heures d’enthousiasme, la valeur de sa propre musique[1].

Dans la grêle des banderilles inutilement dépensées par Wilamowitz et qui glissent sur la croupe robuste du Dionysos tauromorphe décrit par Nietzsche, il y en a quelques-unes aussi qui s’enfoncent dans la chair. Les emprunts à Otfried Müller, le retour au syncrétisme creuzérien sont dénoncés non sans justesse[2]. Il y a un danger réel, comme le signale Wilamowitz, à vouloir tirer de la poésie chorique primitive, dont il ne nous reste que de si rares fragments, des inférences sur la tragédie la plus ancienne. Il est vrai aussi que Nietzsche, pour sa conjecture, reprise de Creuzer, sur un mystère mimé de la Passion de Dionysos[3], fait état de quelques textes orphiques tardifs sur Dionysos Zagreus. Mais personne aujourd’hui ne conteste que les cultes orgiaques de Dionysos n’aient célébré la mort et la résurrection du dieu. Il est facile de plaisanter sur les avatars que Nietzsche fait subir à ce dieu lacéré. Et comment en etfet concevoir que ce premier héros de toute tragédie, Dionysos, ait pu être remplacé par Électre ou par le roi Xerxès[4] ? Le problème est obscur sans doute. Nietzsche n’a fait que le reprendre des mains de Welcker. Des conjectures récentes, si elles le résolvent, n’ont pu que le résoudre dans les termes où l’a posé Nietzsche,

Telle est la force dont nous saisit la pensée nietzschéenne, qu’elle entraine son ennemi jusque dans le sillage de ses erreurs. On est à peu près unanime aujour-

  1. Wilamowitz, Zukunftsphilologie, I, p. 8.
  2. Ibid., p. 10, 19.
  3. Ibid., p. 22.
  4. Ibid., p. 23