Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/87

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au secours de Nietzsche[1]. Wagner répondit sans urbanité, à son habitude. Il parla des « germes de crétinisation que tout peuple porte en lui », dénonça la philologie et la bière comme funestes à l’intelligence allemande ; parla du goût naturel des musiciens pour les humanités grecques. Mais il signala d’emblée la nouveauté du livre :


Du premier coup d’œil, nous aperçûmes que nous avions affaire à un philologue qui s’adressait à nous, et non pas aux philologues. Notre cœur s’ouvrit soudain… C’était un regard jeté de la cime sur des plaines vastes[2].


Il apparaissait que la culture allemande elle-même était en danger. Wagner désigna Nietzsche comme un des hommes qui puisaient, aux sources les plus pures de l’esprit allemand, les avertissements dont cette culture avait besoin.

Rohde répondit avec un savoir plus exact. Mais quoi d’étonnant si à son tour, pour défendre un ami méconnu, il a recours aux pires qualificatifs de mépris ? La hâte trop certaine de Wilamowitz devient, à ses yeux, subterfuge malhonnête et grossier artifice. Son refus de s’associer au culte wagnérien devient « sécheresse », « misère de la sensibilité », inintelligence et incapacité. À peine « un élève de seconde » se rendrait-il coupable d’une pareille « caricature de la méthode critique »[3].

Sur ces entrefaites, il avait échangé avec Nietzsche des lettres qui vérifiaient la solidité de leur documentation. Il avait doucement essayé de recueillir des adhésions. L’un des hellénistes les plus autorisés, Bernays, le

  1. Le 23 juin 1872. L’article, daté du 12 juin, est reproduit dans les Gesammelte Schriften de R. Wagner (t. IX, 295 sq.).
  2. R. Wagner, An Friedrich Nietzsche (loc. cit., LX, 298).
  3. Rohde, Afterphilologie, pp. 4, 12, 40, 44. — V. Crusius, Erwin Rohde, p. 60.