Aller au contenu

Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commentateur connu de la Poétique d’Aristote, croyait reconnaître « des pensées qui lui étaient venues depuis longtemps »[1]. Aucun ne prit le parti de venir à la rescousse. D’instinct, Rohde porta l’effort de sa défense au point délicat : les assertions hasardées de l’adversaire sur les satyres que Wilamowitz prétendait n’avoir jamais vus avec des « pieds de boucs » ; sur les Étrusques, dont il contestait la mélancolie ; sur Archiloque, au sujet duquel il ignorait les travaux de Westphal. Mais la force principale de Nietzsche et de Rohde était de connaître Friedrich Welcker, inconnu alors de leur rival. Ils avaient choisi ainsi le guide que Wilamowitz lui-même a désigné depuis comme le meilleur. En ce temps où Wilamowitz se refusait à poser le problème d’une préhistoire de la tragédie attique, ils avaient déjà le mérite de proposer une hypothèse. Leur conjecture, erronée pour l’histoire de la tragédie, n’a projeté de la lumière que sur le dithyrambe populaire, d’où la tragédie n’est certainement pas sortie[2]. Mais il est sûr que la première tragédie a dû être un chœur qui engageait un dialogue à propos de la mort de Dionysos ; et Rohde est fondé à maintenir que Dionysos y a toujours été présent.

Était-ce un chœur de satyres ? Voilà où Nietzsche et Rohde passaient à côté du vrai ; leurs assertions ajoutaient à l’énigme une difficulté de plus, Il leur fallait expliquer comment les satyres grotesques des premiers temps étaient devenus les belles figures de satyres éphèbes dont Winckelmann s’étonnait. Cette difficulté toutefois n’est perçue nettement que depuis le livre de Nietzsche, et c’est l’ambition de le dépasser qui a stimulé les travaux ultérieurs[3].

  1. Rohde à Nietzsche, 12 janvier 1873. (Corr., II, 385.)
  2. V. les assertions contraires de Rohde, Afterphilologie, p. 32.
  3. Ibid., p. 35.