Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/95

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qu’il faudrait appuyer d’une compétence égale à la sienne. Une appréciation tout humaine sera peut-être mieux de mise. Wilamowitz serait devenu sans doute, en tout état de cause, l’érudit qui maîtrise mieux qu’aucun homme de sa génération, au dire des spécialistes, l’outillage matériel dont dispose la science de l’hellénisme. Les ressources de la linguistique et de la critique verbale lui appartiennent autant que l’histoire des institutions et des monuments figurés. Il aurait toujours eu le don d’une rare, d’une infinie et constante inventivité de détail. Mais, comme le lui disait autrefois Erwin Rohde, dans un langage emprunté à Montaigne, « il est impossible de ranger les pièces à qui n’a une forme du total en sa tête »[1]. Dans ce don de la vivante restitution et de la synthèse artiste que nous admirons aujourd’hui en Ulrich von Wilamowitz, nous nous enhardirons à dire qu’il subsiste quelque chose de l’enseignement de Nietzsche.


2. La théorie d’Erwin Rohde entre 1873 et 1898. — Rohde a gardé pieusement le souvenir de la campagne commune. Les aphorismes recueillis de lui par Crusius le montrent souvent sur les sentiers de Nietzsche. Il n’attribuait pas au livre sur la Naissance de la Tragédie une valeur de science. Il aurait voulu qu’il fût écrit sous la forme d’un « poème didactique »[2]. Il ne veut pas insinuer par là qu’il ne le croie pas vrai. Mais il estime qu’il y a des vérités où n’atteint pas la clarté de l’intelligence. Les mythes, les mystères sont de ce nombre. « Ils expriment à leur façon des choses inexprimables dans une autre forme[3]. » Ce fut la tournure d’esprit des

  1. Rohde, Afterphilologie, p. 11.
  2. Cogitata de Rohde, § 44 (1873), dans O. Crusius, Erwin Rohde, p. 236.
  3. Rohde, Cogitata, § 67, 1876. Ibid., p. 247.