Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Grecs notamment d’aimer les mythes. « Il n’y a guère de peuple qui ait davantage songé à l’au-delà. » Un panthéisme pessimiste, une foi qui conçoit la douleur et le mal comme préexistant dans la divinité, avant même qu’ils ne se soient déployés dans le monde créé par elle, voilà où, en 1877 encore, Rohde voyait la source principale de la pensée des Grecs.

Était-ce aussi l’origine de leur tragédie ? Il ne s’exprimait à ce sujet qu’avec réserve. Il incline à le croire[1], Mais quand ce ne serait pas vrai, Nietzsche aurait vu juste, au moins pour les mystères. C’étaient des représentations dramatiques (δρώμενα). Avaient-elles un sens allégorique ? Non. Les Grecs sont restés jusqu’au bout dans l’état mythologique. Ils comprenaient autrement que par l’intelligence. Les secrets derniers de leur foi se traduisaient pour eux en figures et en faits qui suffisaient à les remplir d’une émotion religieuse[2]. Nietzsche n’avait-il pas excellé à décrire ces états psychologiques qui flottent entre deux régions de l’âme, et, sans affleurer à la conscience claire, prennent cependant déjà des contours figurés et se traduisent par des attitudes ?

Dira-t-on que ces notes prises par Rohde entre 1872 et 1877 sont suspectes ? On y sent encore la fidélité à l’amitié et à une cause chère. Mais cette amitié était refroidie depuis longtemps, et la cause de Schopenhauer abandonnée, quand Rohde écrivit Psyché (1893). Avec une érudition amplifiée et avec l’expérience sceptique de l’homme mûr, il reprenait l’ancien problème de Nietzsche : celui du dionysisme. Il y était amené par l’étude de la révolution religieuse issue du culte de Dionysos, et qui a fait surgir en Grèce le culte de l’immortalité de l’âme. À

  1. Cogitata, § 80 (1877).
  2. Ibid., § 86 (1877).