Page:Andreïev - Les Sept Pendus (Trad. Serge Persky), 1911.djvu/135

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de ce qu’ils avaient éprouvé dans la solitude. Ils avaient peur de se regarder, peur de se révéler l’un à l’autre, la chose nouvelle, un peu gênante, qu’ils sentaient ou soupçonnaient entre eux.

Ils se regardèrent cependant, sourirent une ou deux fois, et tous se trouvèrent à l’aise, comme auparavant : aucun changement ne se devinait, ou, s’il s’était passé quelque chose, tous en avaient pris une part égale, si bien qu’ils ne remarquaient rien de spécial en chacun d’eux. Tous parlaient et se mouvaient d’une manière bizarre, saccadée, impulsive, trop lentement ou trop rapide. Parfois, l’un d’eux répétait vivement les mêmes mots, ou bien n’achevait pas une phrase commencée, croyant l’avoir dite. Et ils ne remarquaient rien de tout cela. Tous clignaient des yeux et examinaient, sans les reconnaître, les objets familiers, ainsi que des myopes qui auraient soudain enlevé leurs lorgnons. Ils se retournaient souvent et avec vivacité, comme si, derrière eux, quelqu’un les appelait. Mais ils ne s’en apercevaient