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LA VIE D’UN POPE

Dix fois déjà il avait raconté son histoire à dix popes différents ; et, à force de la répéter, elle lui semblait toute simple, toute naturelle, comme si c’était une histoire quelconque et qui ne le concernait pas.

Parfois, il variait les détails de son récit, remplaçant l’été par l’automne, la fillette blonde par une brune ; seule, la somme donnée restait immuable.

Certains prêtres ne le croyaient pas et se moquaient de lui ; ils assuraient que depuis bien plus de dix ans, jamais une fille n’avait disparu dans la région ; ils le confondaient par les nombreuses et flagrantes contradictions de son récit, et lui démontraient, jusqu’à l’évidence, que toute cette histoire effrayante, il l’avait imaginée, un jour qu’il se vautrait, ivre, dans les bois.

Et cette incrédulité le mettait hors de lui : il criait, tempêtait, jurait par Dieu et par le diable, accumulait, dans sa fureur, des détails si répugnants et obscènes que les plus vieux prêtres en rougissaient et s’indignaient.