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L’ÉTRANGER

enfants qui jouent aux soldats. Il avait pitié du petit Raïko, il aurait voulu l’emmener avec lui à l’étranger pour lui montrer la vie vraie, large et raisonnable.

Les bouteilles à moitié vides, les étudiants se mettaient à chanter, à jouer de l’accordéon, et ils envoyaient chercher Raïko considéré par eux comme un virtuose du tambour de basque. Il revenait et jouait d’un air sombre ; ses yeux étaient aussi brillants que ceux d’un loup et aigus comme le dard d’une guêpe. Quand la gaîté était à son comble, que le sang ardent bouillonnait dans les veines, Vanka Kostiourine s’élançait, secouait ses épaules et dansait la danse russe. Gauche et lourd d’habitude, il se mouvait alors avec la légèreté d’une plume ; ses talons tambourinaient en mesure sur le plancher, il criait, il semblait que la chambre tout entière tournoyât et tremblât sous ces bruits, sous les sons de l’accordéon et les rugissements haletants du tambour de basque. Et tous ceux qui étaient là avaient des yeux étincelants ; leurs mains et leurs pieds frémissaient. Tchistiakof se demandait si ses camarades n’avaient pas perdu la raison.