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voyage du condottière

lescent : « Ici ont vécu les Capulets, d’où est issue la Juliette, pour qui les cœurs bien nés ont versé tant de larmes, et tant chanté de vers les poètes. » Juliette, chaude et brune comme une mûre, au soleil de midi, sur la haie. Juliette, précoce comme l’invitation de l’amour aux baisers et aux larmes.

Assez loin de la rue Capello, Juliette a une autre maison, dans Vérone ; et celle-là a toujours son jardin. On sonne à la porte rouge du bourreau, dans la ruelle où fut, dit-on, le couvent des Franciscains. D’un pas, on entre au secret d’un petit cloître. Paix, paix ! D’ici pourtant, les jours de crue, on doit entendre l’Adige verte, qui roule au pont Aleardi. C’est le midi de la ville, où le flot se précipite. Ô Juliette, on ne remonte pas le fleuve. Le courant est trop rapide.

Une loge à cinq arcs, doublement ouverte sur l’entrée et sur les arbres lointains, accueille la lumière. Des glycines pendent aux colonnes, et rampent sur le mur. Dans la cour, de sages lauriers et des fleurs immobiles. Au milieu de la loge, une couche très basse fait un lit très profond : c’est un sarcophage, la bouche de pierre rouge qui mange la forme de l’homme, et qui dévore la femme la plus aimée.

La petite fille, là, fut mise et couchée. Elle n’avait pas quatorze ans.

Elle est baignée d’air. Elle voit le ciel, les arbres et les saisons. Je n’évoque pas votre amoureuse de théâtre, une vieille femme au cou de taureau, qui pousse ses roulades comme si elle y était assise, infirme, et qu’elle ne pût avancer que sous ce vent en poupe : car il vous les faut d’au moins cinquante ans, vos héroïnes. Ni la jeune femme qu’elle est aussi quelquefois, pleine de son, je dis de sciure, une poupée d’Amérique, qui n’a d’yeux, de ventre et de voix que pour elle-même : de là son