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voyage du condottière

Guerrière et conjugale, Vérone est fleurie de balcons sculptés. Ils font corbeille de fer ou de marbre, en saillie sur les façades ; les uns en courbes sveltes, les autres pansus, ou tels, à la rue Saint-Alexis, des mamelles sous une résille. Des fleurs et des plantes vertes illuminent toutes ces ferrures : la vigne y fait treille, et les plants d’oranger poussent leurs feuilles vernies entre les barreaux.

La place aux Herbes, avec la place de la Seigneurie, c’est un beau paysage de ville. L’une peuplée, l’autre déserte. La place aux Herbes, largement ouverte, de toutes parts, en marché, sert de forum à la plèbe ; la place des Seigneurs est totalement fermée par des voûtes : le coin des tombeaux, qui la prolonge, en achève le caractère. Elle mériterait qu’on la nommât, en anglais, la place des Lords : elle est dure, sombre, séparée : c’est le lieu d’une caste.

Vérone est hantée d’Allemands. On les moque, et on ne les aime pas. Les Barbares ont toujours eu un pied sur cette terre ; mais toujours haïs du menu peuple, la race les a mangés. Ils n’ont duré que chez les Grands. Dans la cité que l’Adige enlace d’un baudrier vert, la guerre ne finit jamais : elle est entre les cellules profondes, dans le sang des familles. Au secret des noces, il faut qu’un sang dévore l’autre. Le peuple latin a toujours pris le dessus ; et même conquise, Vérone a digéré les conquérants. Ville à souhait pour y rentrer vainqueur, poussant devant soi un immense convoi de prisonniers roux, aux yeux myopes, et d’épaisses captives. Je me sens guelfe, à Vérone.

Sur les pavés, je flaire la trace et l’odeur de tous les maudits Barbares, de ces brutes insolentes et si vaines, qui viennent meurtrir du poing et percer de la lance ce qu’ils mettront ensuite