Page:Andre Suares Voyage du Condottiere Vers Venise, 1910.djvu/147

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
139
voyage du condottière

mille ans à ressusciter, les chiens. Au pont du Château Vieux, c’est la force qui tient la route et qui enchaîne les deux rives. Le maître du pont ouvre ou ferme la porte d’Allemagne. Garde-la bien, fils de Rome. Avec ses tours carrées sur chaque pile, et l’ombre rouge des briques dans l’eau grise, le vieux pont crénelé respire la menace. Et le dé monstrueux du château est mouillé dans le fleuve comme un mâle, comme une borne dure. Les maisons à pic sur le flot clignent un œil rare, un noir regard. Tout est carré, massif, fermé, hostile. La couleur des briques est de sang caillé. Les créneaux à meurtrières laissent passer la ville, Saint-Pierre, les forts sur les hauteurs et les tours de la Grand’Place. Vérone est comme une langue, allongée sur l’Adige verte. Les sombres collines montent en amphithéâtre, du fleuve même. Rome, ici, a donné le mot d’ordre et pris la garde sacrée : il faut que les Barbares soient chassés ou conquis.

Un bon peuple latin, sobre de mœurs et abondant en paroles, vit au large entre les lèvres de l’Adige. Il est gai et alerte. Les yeux sont amoureux de la vie : les yeux éloquents sont la victoire de Rome sur l’épaisseur du Nord. Ce peuple rit fort dans une ville triste. Gaieté joviale à longs éclats. Comme ils disent, « à Vérone souffle l’air de Montebaldo », entendant par là un vent de demi-folie.

Via Mazzanti et Volto Barbaro, les deux rues finissent en cul-de-sac, l’une dans l’autre. Et une voûte donne sur la place des Seigneurs. Quel coupe-gorge magnifique entre le marché du peuple, ce bétail herbivore, et le repaire des carnassiers. C’est là que les Scaliger règnent, et le plus souvent qu’ils meurent. Ils vivent ailleurs. Ils tiennent leur cour, ils ont leur table, ils couchent dans la forteresse du Château, sous la garde du pont