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VOYAGE DU CONDOTTIÈRE

et la ligne de la rivière. Dans ces deux rues, qui ferment la place, et qu’elles peuvent forclore de la ville, ils sont morts au milieu du crime, sous l’hallali de la Trahison, la plupart de ces dogues. Le Mâtin Second y poignarde, de sa main, son cousin l’évêque. Can Signorio, pour être prince, plonge son épée jusqu’à la garde dans le dos de son frère aîné ; et lui-même, plus tard, ruiné par la luxure et par le vin, se voyant mourir, il console son agonie en faisant étrangler son cadet, qui pourrissait en prison. Ils meurent tous avant quarante ans. Leur vie est effrénée, insolente, pleine de désordre convulsif et de violences calculées. Ils ne jouissent que d’éblouir et d’effrayer. Faste et cruauté, ils tiennent tous de Néron, ce modèle des princes. Et d’ailleurs, Néron est un héros national de l’Italie, une forme romaine de la puissance. Tout vrai roi, plus ou moins, tient de lui. Comme Néron, dans la plénitude du pouvoir, ils s’ennuient s’ils ne tentent la voie solitaire du mépris, où la force brave l’humanité. Il est des points par où la cruauté touche à l’art du règne. Néron n’est pas un bouffon, seulement : il a le goût de l’exquis, la passion de l’unique, et la fureur de l’ignoble.

Au sortir du conseil, Mastino fut poignardé dans cette rue, magistralement. Le fer l’a décousu de la gorge au bas-ventre : il a reçu, sur la joue, le soufflet de ses tripes. L’arcade est là, toujours la même ; ruelle admirable dans la fureur écarlate de midi. On échappe enfin aux singeries des deux places, où les maçons du jour ont parodié le moyen âge. La rue atroce flambe au soleil. Elle est tournée pour le guet-apens. Étroite et torse, à cause des bâtiments qui avancent et de ceux qui font retraite, elle est percée de portes sombres, d’arcs au dos sournois, de trous carrés, si bien ouverts pour cacher un traître, pour lui prêter la fuite, et si propres à recueillir les flots de sang. La pente y est, et tel soupirail aspire le secret du meurtre, comme une