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voyage du condottière

fleur la plus héroïque. La pierre très dure est d’un ton bleuâtre que relève, en de rares ornements, un jet d’or, une feuille, un rinceau de vermillon, ou une acanthe d’azur pâle. Un goût puissant et sobre, une grâce âpre et sévère.

Point de géants en cariatides ; point d’athlètes nus, montant la garde, par six et par douze, autour du cadavre. Point de lourde allégorie aux lieux communs de la morale ; et plus elle est somptueuse, plus elle ment. Rien qui dissimule la mort, ni la forme fatale du cercueil ; mais, au contraire, ces tombes sont à la taille de l’homme, et le berceau de son immortalité.

Le sarcophage antique n’est plus lié à la terre ; l’urne lourde de la grande misère humaine est soulevée par un souffle invisible ; elle est affranchie de son poids. Elle ravit, en le cachant, le double couché de l’hôte, au-dessus du coffre où fut comptée, tout d’une fois, la somme pitoyable des jours, et versé le morne trésor.

Il n’était que l’amour, la passion de l’esprit qui espère pour donner l’essor à la cellule de granit, où l’homme opère sa dernière prise d’habit. Une chrysalide étonnante se dissimule dans ce marbre, qui a la forme d’une nef close, du ber immortel. L’énergie qui la soulève, avec ce faix d’humanité dormante, c’est les ailes qui poussent à la nymphe spirituelle : certes, elle commence de se mouvoir.

Ces arches admirables n’ont point d’égales en spiritualité. Elles présentent le nouveau-né de la mort à un dieu géomètre. Ainsi, la matière se sublime dans un sublime esprit.

Vers le soir, aux rayons obliques du jour, l’un de ces tombeaux semble trembler dans une vapeur lunaire, comme une grande fleur funèbre, aux rigides pétales ; et la momie cachée est le pistil du calice terrible. Et l’autre paraît un encens de