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voyage du condottière

épaules. Presque sans y toucher, l’anse du bras gauche tient la bride ; et le ciel est plus bleu, le ciel est plus pur dans l’espace qui sépare le gantelet de la cuirasse. L’autre bras est plus impérial encore. Colleone est un peu tourné vers la droite, comme un homme qui regarde devant soi, sans quitter totalement des yeux l’horizon qu’il laisse sur un bord. Et de la sorte, son bras écarté l’amène à lui, surveille et pousse comme un prisonnier cet horizon qu’il maîtrise. Elle serre, cette droite redoutable, le bâton ducal, pareil à une épée ronde ; et si le cheval marche, elle entrera dans le plein des ennemis, ou du ciel, ou des nuages, comme une lance maniée par l’éclair, et plantée par le dieu même de la victoire. Voilà le rythme du maître, chef de la guerre, patron de la paix.

Or, la tête de ce guerrier est belle à effacer tout le reste. Sous le casque à trois pièces, qui coiffe les deux bords du visage comme une chevelure longue, taillée à l’écuelle, c’est la tête terrible de Mars chevalier, ou Saint Michel blanchi dans la bataille, commandant la vieille garde des anges. La tête longue, les grandes joues carrées aux muscles carnassiers, toute la face rayonne une énergie inexorable. Le col épais est gonflé de trois plis, comme le cou des aigles ; et ces plis bien ourlés répètent trois fois la ligne du menton vaste. Tout le bas de la figure est animé par la houle de ces vagues, comme par une marée de triple volonté. Assez court et violent, le nez descend un peu sur la bouche étonnante, une grande bouche, amère, circonflexe, qui s’abaisse en deux pentes de formidable mépris. Et la lèvre basse, qui porte le poids du cri intérieur ou la volonté du silence, est large, forte, loyale, sans souci de cacher rien, hardie à épancher toute violence, s’il faut, toute amitié ou une menace inextinguible.