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voyage du condottière

Après avoir admiré les portraits du bourgmestre Meyer et de sa femme, si l’on s’arrête à celui de la fille, on a lu tout un roman. La femme du bourgmestre est d’une exquise élégance, en ses atours de simple bourgeoise. Jeune fille, elle respire le charme le plus sévère et le plus délicat. Femme, et toujours jeune, mariée à l’homme le plus considérable de la ville, quelle figure impénétrable que la sienne ! À Bâle, elle est toujours la plus belle. Sa parure est somptueuse ; elle peut recevoir les princes et les rois, de passage dans la ville impériale. Mais ses traits si muets et si purs ne sont point ceux d’une femme heureuse. Elle est calme, et s’ennuie. Elle n’a point d’amour. Elle ne l’attend plus de ce gros homme placide, son mari, qui, décidé partisan de la Réforme, ne pense plus qu’aux intérêts de la religion, politique, paterne, sans vice et sans malice, un gros nez, qui rougit en hiver, une grosse bouche au rire épais et aux gros repas. Or, leur fille boude, ses nattes dans le dos. Elle est sotte et rusée. Elle est déjà piétiste. Entre sa mère et elle, il y a tout un siècle : la Réforme. Elle a le gros nez de son père, sans en avoir la bonhomie. Comme toutes ces femmes, dont Holbein a dessiné les costumes, elle étouffe de pesants appétits sous ses lourdes cottes. Leurs modes ne sont pas si loin des nôtres. Seules diffèrent les jupes trop amples. Elles font bastions et redans : c’est là derrière que la volupté se retranche, elle aussi sournoise et circonspecte : elle a besoin de ces remparts d’étoffe pour ne pas se livrer.

Holbein a un goût délicieux dans ses dessins. Il dessine à la pointe comme on grave. Son trait est d’une délicatesse et d’une précision uniques. Il est d’argent fin sur de beaux papiers qui font ombre. Un peu de charbon, une touche légère de couleur, et la feuille s’anime, vivante et d’une rare élégance en sa teinte indécise. Holbein n’invente point, et il n’a pas de fantaisie. Le por-