Page:Angellier - Dans la lumière antique, Le Livre des dialogues, t1, 1905.djvu/56

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Le Vieillard.

Ah ! conseils toujours vains ! Faut-il que la sagesse,
Parmi tant de chagrins cueillie et de détresse,
Reste inutile aux bras lassés du moissonneur ?
Les mortels doivent-ils glaner chacun la leur,
Récolter de leurs doigts les épis sur la terre,
Puis conserver pour eux leur gerbe solitaire ?
Le fils a-t-il raison ? Ne pouvons-nous passer
Ce qu’il nous fut si dur et si long d’amasser,
Nos douloureux savoirs, aux hommes qui nous suivent,
Aux jeunes dont les cœurs sur nos tourments arrivent ?
Et ne tenons nous rien, dans le creux de nos mains,
Que des propos sans prix et d’infructueux gains
Dont nous avons perdu le besoin pour nous-mêmes ?
Qui connaîtra les sûrs et secrets stratagèmes
Du destin, pour créer et pour entretenir
L’antique aveuglement qui, vers lui, fait courir,
À rangs renouvelés, la multitude humaine ?
Va donc, ô pauvre enfant, où sa ruse t’entraîne !
Ces grands buis par lesquels ton banc est ombragé
Contre le Dieu cruel ne t’ont pas protégé ;
Il a su, derrière eux, découvrir ta jeunesse ;
Et l’a prise au travers de leur barrière épaisse.