Page:Angellier - Dans la lumière antique, Le Livre des dialogues, t1, 1905.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je pense à des crocus qui, perçant sur la neige,
S’ouvrent sous un rayon sans songer aux rafales,
Et je trouve une angoisse aux pompes nuptiales.
Ton vase, quelque beau que tu saches le faire,
Peut toujours contenir une liqueur amère ;
Tu ceindras ses flancs purs d’une zone de fête,
Mais la bande brillante à son contour s’arrête,
L’espace intérieur reste séparé d’elle,
Et la paroi d’argile, encor que mince et frêle,
N’entourera jamais que la liqueur qu’y verse
Une main délicate, ou brutale, ou perverse.
Ne t’offense donc pas, potier, si je refuse
Le présent précieux qui m’est promis ; excuse
Ce qui n’est pas le signe, en moi, d’une âme ingrate ;
Sache que ma pensée, ainsi qu’un aromate,
Conservera ce don que tu voulais me faire,
Et ton offrande m’est et me restera chère.
Mais je ne saurais voir sans tristesse anxieuse,
Que le soleil l’éclaire ou l’étroite veilleuse,
Ce chantant et muet cortège, aux flancs du vase,
Suivre immobilement sa longue diabase,
En tournant à jamais autour de son mystère ;
Mon esprit inquiet ne saurait se distraire
De ce vide tourment obsédé de lui-même :