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Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/126

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duretés. Il devint pensif et silencieux et quand, la nuit tombée, il ramena son attelage, il rapportait un des chefs-d'œuvre de la poésie anglaise ^ . L'histoire de lapièce à h Pâquerette est analogue. Cette fois c'était aux labours d'avril ; en poussant la charrue il coupa une pâquerette dont la destinée le toucha. « Ses vers à la Souris et à la Pâquerette de montagne furent composés pendant que l'auteur tenait la charrue ; je pourrais mon- trer l'endroit exact où chacune de ces deux pièces fut composée ^. » N'est- ce pas un tableau d'une simplicité touchante et non pas sans grandeur, que ce paysan, ce grand poète, arrêté au bout d'un sillon et songeant appuyé sur le manche de sa charrue? C'est un épisode digne de nobles Georgiques.

Le soir, dans son galetas, il écrivait les vers de la journée et la pièce nouvelle allait rejoindre les autres dans le tiroir de la petite table 3. Le lendemain ou quelques jours après, il la récitait généralement à Gilbert. Les circonstances où ces récitations étaient faites sont aussi bien cu- rieuses. « Ce fut je pense pendant l'été de 1784-, quand dans l'intervalle de plus pénibles labeurs, lui et moi étions à arracher les mauvaises herbes du jardin, qu'il me répéta la plus grande partie de son Épitre à Davie ■.n Et ailleurs : « Ce fut, je pense, l'hiver suivant, pendant que nous allions ensemble avec des chariots chercher du combustible pour la famille, (et je pourrais indiquer l'endroit précis) que l'auteur me répéta pour la première fois V Adresse au Diable. ^ » Et encore ce coin de champ : « Il me répéta ces vers le lendemain après midi, tandis que j'étais à la charrue et qu'il faisait écouler l'eau hors du champ * ». Il nous semble que ces vers récités au milieu de grossières besognes sont un dernier trait qui com- plète ce tableau unique.

Au fur et à mesure qu'il produisait, il prenait conscience de son génie et de sa vocation. Peu à peu il entrevoyait un but à sa vie, un but qui resta confus et souvent fut obscurci, mais d'où lui vinrent ses meilleures clartés. La pensée d'être poète s'établissait en lui, non pas poète européen, un poète qu'on lirait aux quatre coins du globe ; pas même poète anglais ; pas même poète écossais. Son ambition était beaucoup plus circonscrite. Pendant longtemps, toujours peut-être, à l'époque de sa grande produc- tion très sûrement, il ne songea qu'à être un poète local, il n'eut d'autre visée que de chanter le canton qu'il habitait. Son vœu le plus élevé était que le coin de pays qu'il chérissait eût aussi ses louanges quand d'autres districts de l'Ecosse avaient les leurs ; que les sites et les mœurs de Kyle

^ Chambers, tome I, p. 147.

2 Gilbert. Leiler to D^ Currie.

^ Chambers, tome I, p. 145.

4 Gilbert. Id