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Nous ferons résonner la mesure de qiiati'e,

v> Nous la baptiserons avec de l'eau fumanle,

Et puis, nous nous asseoirons et nous boirons notre coup

Pour nous réjouir le cœur ;

Et ma foi, nous aurons fait meilleure connaissance

Avant que nous nous quittions ^. -^

Mais il n'avait jamais outrepassé les limites et n'avait cherché, dans les cabarets de village que la compagnie d'amis, et dans la boisson qu'un pétillement de verve. C'est pendant ces semaines mauvaises qu'il semble qu'il se soit mis, pour la première fois, à boire lourdement, qu'il ait cherché dans l'ivresse non plus la surexcitation mais la stupeur. A6n de trouver l'oubli, il a été jusqu'au point oii s'engour- dissent du même coup la pensée et la souffrance. Il s'est jeté dans des orgies plus épaisses, avec une sorte de fureur et de bravade farouche. Il a apporté dans la boisson, ce besoin de défi qui pousse les amoureux ; il a parié de boire plus que les autres ; il a fait toutes les extravagances de tant de pauvres cœurs qui ont cru s'étourdir. Il le dit lui-même : « J'ai essayé souvent de l'oublier, je me suis plongé dans toutes sortes de désordres et d'orgies : réunions maçonniques, assauts de boissons et autres folies pour la chasser de ma tête, mais tout a été vain ! ^ » Ce n'est plus la légère excitation faite presque entière de rire, de paroles et de verve bruyante, dans laquelle sa nature exubérante se plaisait ; c'est la vraie ivresse, celle qui va jusqu'au bout et continue à outrance, jusqu'à ce que la raison, la parole, l'être entier chancelle et que le dernier mot appartienne à la boisson. Gilbert avait raison en disant que son frère n'avait connu cette dégradation qu'au moment oîi il devint auteur. Il se trompe sur les causes qui l'y ont poussé. Burns, hélas ! n'est pas le seul des poètes que « les vœux brisés d'une femme sans foi ^ » aient poussé dans cette voie fatale, oii maints ont laissé leur santé, et quelques- uns leur génie.

En voyant les ravages que cet amour a faits dans le cœur de Burns et en songeant à la place qu'il a tenue dans la suite de sa vie, il est impossible de ne pas se demander ce que fut cette passion si cruellement despotique , ce qu'était la femme qui l'a inspirée. Elle ne semble pas avoir été belle. Brune, avec des cheveux noirs épais et des yeux noirs brillants, ce qui frappe en elle c'est quelque chose de bien pris et de net dans les formes du corps, d'alerte et de ferme dans l'allure, la grâce qui ressort de mouvements souples, d'un pas libre et décidé.

1 Second Epislle lo John Lapraik.

2 Ta Mr David Brice, 12tt June, 1786.

3 The Lament.