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moissonneurs se préparera à attaquer le premier champ. C'est dans les souvenirs de Murdoch lui-même qu'il faut lire l'emploi de ces quelques jours dérobés au labeur de la ferme et retrouver l'enthousiasme du maître et de l'élève.

En 4773 Robert Burns vint vivre et loger avec moi, dans le dessein de revoir la grammaire anglaise etc., afin d'être plus capable d'instruire se? frères et sœurs à la maison. Il était avec moi jour et nuit, à l'élude, à lous les repas et dans toutes mes promenades. Au bout d'une semaine, je lui dis que, comme il possédait assez bien les parties du discours etc., j'aimerais à lui enseigner un peu de prononciation française, afin que lorsqu'il rencontrerait le nom dune ville française, d'un navire, d'un officier ou quelque autre nom semblable dans les jouinaux, il pût le prononcer un peu comme du français. Robert fut heureux d'entendre cette proposition et nous attaquâmes immédiatement le français avec grand courage. On n'entendait plus autre chose que la déclinaison des noms, la conjugaison des verbes etc. Quand nous nous promenions ensemble, et même aux repas, je lui disais continuellement le nom des objets en français, au fur et à mesure qu'ils s'offraient; en sorte que d'heure en heure il accumulai! une provision de mots et quelquefois de petites phrases. Bref, il prit si grand plaisir à apprendre, et moi à enseigner, qu'il était difficile de dire lequel des deux était le plus zélé, et, vers la fin de la seconde semaine de notre étude du français, nous commençâmes à lire un peu des aventures de Télémaque, dans les mots mômes de Fénelon.

Mais voici que les plaines de Mont-Oliphant commencèrent à jaunir et Robert rappelé dut abandonner les agréables scènes qui entouraient la grotte de Calypso et, armé d'une faucille, chercher la gloire en se signalant dans les champs de Cérès. Et c'est ce qu'il faisait, car bien qu'il n'eût que quinze ans, on me disait qu'il faisait l'ouvrage d'un homme.

Aussi fus-je privé de mon très bon élève et d'un très agréable compagnon au bout de trois semaines, dont l'une fut entièrement consacrée à l'étude de l'anglais et les deux autres principalement à celle du français. Cependant je ne le perdis pas de vue ; mais je faisais de fréquentes visites chez son père quand j'avais moi-même ma demi- journée de congé, et souvent j'y allais accompagné d'une ou deux personnes plus intelligentes que moi-même , afin que le bon William Burnes pût goûter une petite fête intellectuelle. Alors on passait à d'autres mains l'aviron. Le père et le fils s'as- seyaient avec nous et nous goûtions une conversation où un raisonnement solide, des remarques sensées et un assaisonnement modéré de plaisanterie étaient si heureuse- ment mêlés qu'elle était du goût de tout le monde. Robert avait cent choses à me demander sur les Français, etc. et le père, qui avait toujours en vue une instruc- tion rationnelle, avait sans cesse quelques questions à poser à mes amis, plus instruits sur la physique ou les sciences naturelles ou la philosopie ou quelque autre sujet Intéressant 1. »

Cette page, dans sa bonhomie simple et son enthousiasme un peu naïf, n'est-elle pas d'une âme excellente et saine? De son séjour auprès de Mur- doch, Robert avait rapporté un dictionnaire et une grammaire français ainsi que les îàmenses Aventîires de Télémaque. « En peu de temps, au moyen de ces livres , il acquit une connaissance du langage suffisante pour lire et

1 Murdoch's Narrative.