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les membres de notre famille ^ », dans cette solitude de pauvreté et ce travail sans trêve, Robert s'était jeté avec fureur dans la lecture.

Tout jeune, il avait aimé à lire et il semble avoir été très tôt sensible aux beautés littéraires. Il se rappelait, comme tous ceux qui aiment les lettres, le premier morceau qui lui avait fait impression et donné ce petit choc inoubliable qui éveille l'âme à des choses nouvelles. C'était la vision où Mirzah contemple, du sommet de la colline, la vie humaine, sous la forme d'un pont aux arches ruineuses jeté sur le torrent du temps, et discerne au-delà les îles bienheureuses, dans lesquelles reposent ceux qui furent gens de bien ^. C'est un des beaux morceaux de prose anglaise, calme, harmonieux, et, en dépit de son affabulation orientale, éclairé d'une lumière qui semble empruntée aux allégories de Platon. « Je pouvais voir des personnes vêtues d'habits brillants avec des guirlandes sur la tête, passant entre les arbres, couchées au bord de fontaines ou reposant sur des lits de fleurs ; et je pouvais entendre une harmonie confuse d'oiseaux chanteurs, d'eaux tombantes, de voix humaines et d'instruments de musique. Une allégresse grandit en moi à la découverte d'une scène si délicieuse. » A côté de cette noble page un autre morceau, également d'Addison, avait agi sur lui, un hymne de remerciement à Dieu après les dangers d'un voyage, dune dignité un peu artificielle. « Le premier objet de composition littéraire dans lequel je me rappelle avoir pris plaisir était la vision de Mirzah et un hymne d'Addison commençant : a Combien bénis sont tes serviteurs, ô Sei- gneur. » Je me rappelle particulièrement une demi slance qui était une musique pour mes oreilles d'enfant ; je rencontrai ces deux morceaux dans le recueil de Mason, un de mes livres de classe. » La strophe qui était restée dans sa mémoire est, en effet, une des meilleures du morceau. Addison fut ainsi doublement un initiateur pour Burns. Il lui révéla d'un même coup les deux côtés du plaisir littéraire : le pouvoir qu'ont les mots d'évoquer de belles images et la part de musique qu'ils peuvent contenir.

A partir de ce moment, il dévora tout ce qui lui tombait sous la main : vieux livres, volumes dépareillés, romans incomplets, ouvrages ennuyeux ou démodés. Il mettait à contribution les pauvres planches de livres des voisins. L'un d'eux lui prêtait deux volumes de Pamela ; le forgeron qui ferrait les chevaux lui prêtait la Vie de William Wallace. Robert lisait tout cela avec une avidité et une ardeur sans égales. « Aucun livre n'était assez volumineux pour effrayer son zèle ou assez vieux pour refroidir ses recherches 3. » Lui-même a laissé la liste de ces lectures hétérogènes, rassemblées au hasard des prêts ou des trouvailles dans un panier de

1 Gilbert' s Na/rrative.

2 The Spcctator, N° 159, Salurday, September ist nu,

3 Gilberfs Narrative.