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Pendant qu'elle suivait la vie antérieure de l'homme qui pénétrait dans la sienne , elle était aux prises avec une préoccupation intime où est la preuve qu'elle était sincère dans son rêve d'une amitié paisible. Elle se demandait s'il en était capable, et elle s'alarmait de n'en pas trouver de traces ou de germe, dans cette existence, où tant de sentiments avaient pris place. Cette inquiétude lui donnait une perspicacité très aiguë, comme lorsqu'un intérêt majeur avive l'esprit, l'aiguise sur un point unique. Elle avait mis le doigt sur l'incapacité, où sont des natures comme Burns, d'éprouver vis-à-vis d'une femme un sentiment désintéressé. Elle devinait la fragilité de son rêve.

« Il y a mie chose qui m'effraie, c'est qu'il n'y a pas tie trace d'amitié envers une femme ; or, dans le cas de Clarinda , c'est la seule " cliose à souhaiter avec ferveur ». . . . Vous m'avez dit que vous n'avez jamais rencontré une femme capable d'aimer aussi ardemment que vous-même. Je le crois, et je vous conseillerais de ne pas vous lier jusqu'à ce que vous en renconlriez une. llélas ! vous en trouverez beaucoup qui ne le peuvent pas, et (luelques-unes qui ne le doivent pas ; mais être unie à une des premières vous rendrait misérable. Je crois que vous auriez presque raison de ne pas penser au mariage, car, à moins qu'une femme ne puisse être un compagnon, un ami et une maîtresse, elle ne pourrait vous aller. Cette dernière pourrait gagner Sylvander, mais les deux autres seules pourraient le conserver •.

Quant à Burns , tout entier à lui-même, comme presque toujours lorsque ses habitudes de cœur étaient en jeu , ayant moins souci de connaître que d'entraîner, il semble n'avoir rapporté de cette entrevue que la satisfaction de quelques instants aimables.

Certains jours, certaines nuits, que dis-je, certaines heures comme « les dix justes de Sodome » sauvent le reste des insipides, ennuyeux et misérables mois et ans de la vie. C'est une de ces heures que ma chère Clarinda m'a accordée hier soir.

Une heure bien passée En de si tendres circonstances, pour des amis Vaut mieux qu'un siècle de temps commun. -^

La remarque qui précède s'étend à toute la correspondance. Il y a bien plus de fines et pénétrantes observations de Clarinda sur lui , que de lui sur elle. Elle lui a dit des choses qui, pour la justesse, et la pénétration n'ont été égalées, sur certains points, par aucun autre témoignage. On pourrait à peu près recomposer le caractère de Burns avec les traits qu'elle a soulignés. Par lui, on ne sait rien d'elle. C'est qu'elle s'occupait de lui et léludiait anxieusement, et que lui ne s'occupait que d'aimer.

Les lettres de Burns qui suivirent cette première entrevue sont de grandes déclamations à froid , pleines d'apostrophes , de déclarations voilées. Clarinda, qui ne manque pas de finesse, le raille un peu sur la

1 To Sylvander. Jan. Tth^ nss.