Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/480

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commis et de fonctionnaire. Il semble que, dès son arrivée, il ait demandé à la boisson l'oubli ou l'étourdissement. La première lettre qu'il ait écrite de Dumfries est lamentable.

Mon cher Ainslie, pouvez-vous secourir un esprit malade ? Pouvez-vous, parmi les horreurs de la pénitence, du refi;ret, du remords, de la migraine, de la nausée et de tous les autres chiens d'enfer acharnés après un pauvre malheureux qui a été coupable du péché d'ivresse ; — pouvez-vous dire des mots calmants à une âme troublée ?

Misérable perdu i que je suis ! J'ai essayé tout ce qui d'iiabitude m'amusait , mais en vain. Il faut que je reste assis ici, comme un monument de la vengeance réservée aux méchants ; me voici comptant chaque tic-tac de l'horloge, pendant que lentement, lente- ment, elle compte ces fainéantes coquines d'heures qui (maudites soient-elles!) s'étendent devant moi, chacune derrière sa voisine et chacune avec un fardeau d'angoisse sur le dos pour le déverser sur ma tête désignée. Et il n'y a personne pour me prendre en pitié ; ma femme me gourmande, mon métier me harasse et mes péchés viennent me regarder en plein visage, chacun d'eux racontant une liistoire plus amère que son compagnon! Quand je vous dis que même (ici il y avait probablement un mot gros- sier qui a été supprimé) a perdu son pouvoir de me distraire, vous devinez quelque chose de l'enfer que j'ai en moi et tout autour de moi 2.

Cette lettre terrible est le prélude qui convient au dernier acte de cette destinée qui s'en va vers le pire. Entre ce moment-là et celui qui arrêtera sous son sceau funèbre toutes les agitations de ce cœur, quatre années et demi s'étendent. Années sans clartés, années de détresse, de désespoir, de débâcle, années de dilapidation physique, et, puisqu'il faut dire le mot, de déchéance morale. Toutes les tristesses d'une vie qui, au sommet de la colline, n'a pas su choisir, et qui descend vers son terme par les versants mauvais.

FIN DE L EPISODE DE CLARINDA.

Quelques semaines après l'arrivée de Burns à Dumfries, Clarinda rentra dans sa vie, pour un peu de temps, d'une façon inattendue. Il reçut d'elle, au mois de novembre, une lettre dont le contenu était cruel. C'était une de ses anciennes aventures, celle avec la fille de la Cowgate, qu'il pouvait croire engloutie dans le passé, et qui, par une voie détournée, le ressaisissait. La lettre de Clarinda lui parlait avec une amertume iro- nique qui perçait à travers la froideur affectée de la forme.

Je prends la liberté de vous adresser quelques lignes, en faveur de votre ancienne connaissance, Jenny Clow qui, selon toute apparence, est en ce moment mourante. Obligée, par tous les symptômes d'un dépérissement rapide, de quitter son service,

1 En français.

2 To Rob Ainslie, Dec. n91.