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Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/542

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strophes seulement, ce qu'il pouvait composer dans les quarts d'heure de recueillement qui lui restaient au milieu de ce gaspillage de lui-même. Elles naissaient sans interruption, les unes sur les autres ; elles étaient variées à l'infini, sentimentales, touchantes, malignes ou railleuses. Il n'y avait guère de semaine où il ne lui vint entre les mains un brin de poésie, un brin menu et léger de plantes du pays, une brindille de bruyère ou de thym, une fleur de chardon, quelques feuilles de houx piquant, et quelquefois, aux jours favorisés, un rameau d'églantier. Mais tous ces riens frais, verts et parfumés, forment, réunis ensemble, un gros bouquet et une part essentielle de son œuvre.

Peut-être aurait-il moins produit , s'il avait été, comme à Mauchline , laissé à lui-même. L'impulsion intérieure était moins impérieuse ; la montée de poésie moins débordante; ou tout au moins les conditions étaient moins favorables ; le loisir manquait et la concentration. Il n'était plus dans cet isolement indéfini oii le travail de l'inspiration a le temps de se faire, oii rien ne le dérange, ne le distrait, oîi, dans le poète renfermé en lui-même, la tension poétique augmente jusqu'à ce qu'elle s'échappe irrésistiblement. Maintenant son corps était fatigué, son âme dispersée, son temps tiraillé et déchiré. Heureusement il vint du dehors des excitations qui ne le laissèrent pas s'oublier. Il continua sa collaboration au recueil de Johnson, lequel avançait lentement; mais surtout il se trouva engagé dans une autre entreprise du même genre qui réclama de lui plus d'activité. Au mois de septembre 1792, un nommé George Thomson, qui était commis près du Conseil de la Société pour rEncouragenient des Manufactures en Ecosse, lui écrivit que, d'accord avec quelques amis comme lui épris de musique, il avait commencé à choisir et à collectionner les mélodies populaires, dans le but de les conserver et de les publier '. Ils avaient engagé Pleyel « le plus agréable des compositeurs actuels », pour mettre des accom- pagnements à ces vieux thèmes, et pour composer, à chacun d'eux, un prélude et une conclusion, de façon à les rendre plus propres à être chantés dans les concerts. C'était donc, à la différence d'autres recueils, une entreprise avant tout musicale, une collection d'airs plutôt que de chansons. Mais certains de ces motifs n'avaient pas de paroles ; d'autres en avaient d'insignifiantes, ou de grossières, ou d'indécentes. Il fallait retoucher les anciens vers ou en composer de nouveaux, là oii cela était nécessaire. Thomson demandait à Burns de se charger de ce travail et de lui fournir de la poésie pour cette vieille musique ^. Burns accepta avec enthousiasme. Il se mit à l'œuvre aussitôt et reprit, mais avec plus d'acti- vité et de fécondité, le travail qu'il avait commencé pour Johnson. La nécessité de fournir aux demandes de Thomson lui servit d'aiguillon ; sa

1 Voir R. Chambers, tom III, p. 225.

2 George Thomson to Robert Burns. Sept. 1792.