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si nouveau pour nos pères , qu'il bouleversa leurs cœurs : « Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie ! Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté et comme poussé par le démon de mon cœur ^ » Et c'est, plus près de nous encore, le soupir de Y Isolement.

Quand la feuille des bois tombe dans la prairie , Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ; Et moi je suis semblable a la feuille flétrie, Emportez-moi comme elle, orageux aquilons ^ i

On est tout étonné de trouver dans Burns cette ressemblance avec les romantiques mélancoliques. Il faut vite ajouter que le mélange de sublimité ossianique et de grandeur biblique , qui paraît dans le morceau de prose cité plus haut, fut passager chez lui. Elles n'étaient pas en accordance avec sa nature qui était pondérée, et violente, mais dans la région moyenne des sentiments. Les nuages n'étaient point son fait. Il aimait à sentir la terre sous ses pieds. Il ne tarda pas à aban- donner ce grandiose surhumain, qui moralise plutôt sur la vanité de la vie qu'il n'en dépeint les actes. Cependant toutes traces de l'influence ossianique ne disparurent pas de son œuvre. On la retrouve , plus tard , très sensible dans des pièces comme Y Elégie de Sir James Hunier Bhh\ celle sur la mort de Robert Dundas (1787), celle sur le comte de Gkncairn (1791). Quant à l'influence plus large et plus mélangée des lectures de cette époque, elle persista dans ses lettres, oii la familiarité et le sans-façon n'apparaissent presque jamais.

Heureusement, dans un autre coin de sa cervelle, une autre partie de lui-même était également à l'ouvrage. On voit paraître pour la première fois, avec conscience, un des côtés de son esprit, beaucoup plus réel et plus solide : le goût de l'observation directe, sans commentaires, sans morale, appliquée nettement à la vie. Ce goût pour l'étude des hommes avait déjà paru, comme un trait rapide, dans son séjour à Kirkoswald, tout à fait à la sortie de son adolescence. Burns ne l'avait pas perdu à coup sûr. Mais cette préoccupation se manifeste ici et se proclame clairement. « 11 me semble que je suis quelqu'un envoyé dans le monde pour voir et observer ; et je m'arrange très aisément avec le coquin qui m'escroque mon argent, s'il y a en lui quelque chose d'original qui me montre la nature humaine dans une lumière différente de ce que j'ai vu aupara- vant. Bref, la joie de mon cœur est « d'étudier les hommes , leurs mœurs et leurs façons », et pour ce cher objet je sacrifie joyeusement

^ Chateaubriand. Rem'. 2 Lamartine.