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toute autre considération i. » Cette formation-ci appartient bien plus définitivement à sa vie ; elle en est un des éléments permanents et solides, et on ne tardera pas à voir ce que devait donner cette observa- tion. C'était le contre-poids des enthousiasmes et des sublimités un peu factices.

Cette réaction fut aidée par une influence littéraire très différente des autres. Le bonheur fit ({u'en ces conjonctures les œuvres de Fergusson, très écossaises, très réelles et d'une grande saveur de terroir, tom- bèrent sous la main de Burns. Ce fut pour lui comme un coup de fouet. « J'avais abandonné la rime, dit-il, mais rencontrant les poésies écossaises de Fergusson, j'accordai de nouveau ma lyre rustique, aux sons incultes, dans la vigueur de Témuiation ^. » Pauvre Fergusson, délicat, doux, violent aux plaisirs, si malheureux, mourant à l'hospice, à vingt-quatre ans, en se plaignant du froid ! Burns conserva pour lui une sorte de reconnaissance et une tendresse touchante. Il en parle plus souvent que de Ramsay. Il l'appelle son frère :

Mon frère aîné en infortune, Et de beaucoup mon frère aîné en poésie •*.

Une des premières choses qu'il fit en arrivant à Edimbourg fut de faire mettre une pierre sur la tombe négligée du poète. Le frêle et plaintif souvenir de Fergusson restera attaché à sa gloire. C'est évidem- ment sous cette influence qu'il produisit alors son premier poème écossais et sa première œuvre assez longue. \1 Elégie sur la mort de la pauvre Mailie, une brebis favorite.

Ces tiraillements, ces combats de tendances se mélangeaient à une arrière-pensée , à des rêveries qui dépassaient certainement les limites de la vie actuelle de Burns. La preuve en est dans un singulier docu- ment, un Journal, qu'il se mit à tenir au commencement de 1783, un an juste après son retour d'Irvine. Les modifications qui viennent d'être indiquées y sont exprimées, ce qui montre que leur travail était déjà accompli. Le début vaut d'être lu avec soin. Il indique clairement que Burns prêtait dès lors une certaine importance à ses sentiments, qu'il avait l'idée très vague, très naïve, que ses confidences ou ses confessions pourraient avoir un jour un intérêt pour d'autres que pour lui. Il y a même la pensée , implicitement contenue dans les motifs de ce Journal, qu'il sera lu un jour. Par qui ? c'est confus encore. Mais il aura des lec- teurs, sans quoi la principale raison que son auteur se donne de le tenir, disparaîtrait.

^ To Murdoch, Lochlie, January 15, 1783.

2 Aulohiographical Lcller to D'" Moore.

3 Verses under Ihe Portrait of Fergusson.